Le sort des loyers commerciaux face au Covid-19 : les apports du droit des obligations
L’ordonnance du 25 mars 2020 (n° 2020-316), précisée par le décret du 30 mars 2020 (n° 2020-371) modifié par le décret du 16 avril 2020 (n° 2020-433) prévoit que les entreprises éligibles au bénéfice du fonds de solidarité prévu par l’ordonnance du 25 février 2020 (n° 2020-317) “ ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux (...) “.
Ces dispositions s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit le 10 septembre 2020.
Bien que l’ordonnance ne vise que l’absence de sanctions liées au non-paiement des loyers commerciaux par le preneur de bail et ne mentionne pas expressément des mesures de report ou de suspension des loyers, la mise en œuvre de ce texte a de fait permis au locataire de reporter le paiement de son loyer.
Par conséquent, à compter du 10 septembre 2020, le bailleur semble pouvoir reprendre ses droits ce qui soulève l’interrogation des obligations contractuelles des parties au terme de l’état d’urgence sanitaire.
Nous faisons le point sur les options juridiques dont disposent les parties afin de surmonter cette crise inédite.
Rappel des obligations des parties au bail commercial :
Pour mémoire le bail commercial est un contrat de location de locaux utilisés pour l'exploitation d'un fonds commercial, industriel ou artisanal. En effet, le bail commercial encadre :
“ I.(...) les baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce (...). “ (article L145-1 du Code de commerce)
En outre, le Code civil prévoit les obligations du bailleur à l’égard du locataire qui est tenu de :
“ 1° de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. (...) ;
2° d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; “ (article 1719 Code civil).
L’épidémie du Covid-19 peut-elle constituer un cas de force majeure dans le cadre du bail commercial ?
Le contexte de crise sanitaire a empêché les parties aux baux commerciaux d’exercer leurs droits et leurs obligations en raison des fermetures administratives imposées. Se pose alors la question de l’existence d’une force majeure pouvant être invoquée par le débiteur afin d’obtenir la suspension, la résolution ou la résiliation du contrat.
C’est l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure :
“ Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 “
En d’autres termes, constitue un cas de force majeure, l'événement réunissant les 3 critères suivants :
Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil précise que lorsque la force majeure est constituée, le débiteur peut rencontrer deux situations différentes :
§ la force majeure génère une impossibilité temporaire : les obligations sont suspendues durant la période d’impossibilité d’exécution et reprendront donc au terme de cette période ;
§ la force majeure génère une impossibilité définitive entraînant :
- la résolution du contrat (annulation rétroactive de toutes les dispositions du contrat) ou
- la résiliation du contrat (seuls les effets futurs du contrat sont concernés)
Bien que la jurisprudence reconnaisse que les fermetures administratives constituent des cas de
force majeure (Cour de cassation, 9 juillet 2013, n° 12-17-012), l'événement de la propagation d’une épidémie n’a pas toujours emporté la conviction des juges.
A titre illustratif, la survenance d’une épidémie de peste dans une région voisine d’une escale de croisière ne justifiait pas l’annulation par des croisiéristes pour force majeure de leur réservation (Paris, 25e sect. B, 25 sept. 1998, n° 1998-024244 ).
Il reviendra donc au juge de déterminer si le non-paiement des loyers par le débiteur est directement imputable à l’épidémie du Covid-19, ou bien aux mesures de fermetures administratives imposées pour limiter la propagation du virus.
L’imprévision du contrat de bail commercial
L’imprévision est la situation dans laquelle un contrat est déséquilibré par un changement de circonstances postérieures à la conclusion d’un contrat. Ces changements étant absolument imprévisibles au moment de la conclusion du contrat. La partie qui subit l'imprévision peut demander à son cocontractant de renégocier le contrat.
Ainsi l’article 1195 du Code civil énonce que “ Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.”
À condition d’apporter la preuve que la propagation du Covid-19 modifie les circonstances de façon imprévisible, entraînant une exécution du contrat excessivement onéreuse, les locataires peuvent invoquer l’imprévision afin de renégocier leur contrat et ainsi diminuer les conséquences financières négatives subies.
Il faut relever que l’imprévision est applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. Les parties au contrat ont cependant la liberté d’écarter totalement ou partiellement les effets de l'imprévision si elles le souhaitent, car les dispositions de l’article 1195 du Code civil ne revêtent pas un caractère d’ordre public.
Relisez bien votre bail pour vérifier si il contient ou pas une clause de renonciation à l’imprévision.
Quid de la révision triennale du loyer ?
Le loyer peut être révisé à la demande du bailleur ou du locataire au bout de 3 ans minimum.
Cette possibilité est prévue par l’article 145-38 du Code de commerce qui précise en effet que “ La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.”
L’article 145-38 alinéa 3 précise par ailleurs que la révision triennale est possible si le prix du loyer ne concorde plus avec la valeur locative réelle du bien loué auquel cas le locataire doit rapporter “ la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative…”
Dans la cadre de la crise sanitaire actuelle, l’obligation de fermeture administrative des locaux commerciaux est un argument de poids en faveur de la baisse de la valeur locative d’un local pouvant ouvrir droit à la révision des loyers par les locataires commerçants.
L’accord amiable : une voie à privilégier pour les parties au contrat et leurs Conseils
L’accord amiable entre bailleurs et locataires commerçants reste une voie à privilégier, car elle permet de préserver un lien de confiance entre les parties tout en conciliant au mieux leurs intérêts respectifs.
Dans ce sens, la loi de finances rectificative pour 2020 (loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020) incite les parties à négocier en prévoyant des mesures fiscales favorables aux bailleurs qui décident de renoncer ou d’abandonner les loyers au profit des entreprises sévèrement touchées par la crise sanitaire.
En effet, cette loi prévoit une déduction de charges, correspondant aux loyers et/ou aux créances abandonnés, du revenu imposable des bailleurs au titre de l’année 2020.
Article 3 de la loi de finances rectificative : “ Ne constituent pas un revenu imposable du bailleur les éléments de revenus (...) ayant fait l'objet, par le bailleur, d'un abandon ou d'une renonciation au profit de l'entreprise locataire entre le 15 avril et le 31 décembre 2020 (...). L'application du présent article ne fait pas obstacle à la déduction des charges correspondant aux éléments de revenus ayant fait l'objet d'un abandon ou d'une renonciation. “
Les deux parties, et leurs Conseils, auraient donc intérêt à privilégier la négociation afin de trouver un accord relatif au report, à l’étalement ou à la renonciation des loyers lorsque le locataire commerçant rencontre des difficultés financières.
L’élaboration d’une Charte pour concilier les intérêts des bailleurs et des locataires commerçants
Le 3 juin 2020, une Charte encadrant les reports et annulations de loyers a vu le jour suite à la mise en place d’une médiation entre bailleurs et locataires commerçants par le Gouvernement.
La Charte vise l’objectif de reporter 3 mois de loyers au profit de tous les commerçants sans condition de taille de l’entreprise.
Également, une clause de rendez-vous est prévue entre le 1er juin et le 1er octobre, pour organiser la discussion entre bailleurs et commerçants sur les annulations de loyers en sachant que le total des annulations accordées par bailleur ne pourra dépasser 50 % des trois mois de loyers qu’il aura reportés pour l’ensemble de ses locataires.
Bien que la Charte n’ait pas fait l’unanimité, elle emporte à ce jour l’adhésion des signataires suivants :
Parlons-en ensemble !
Textes de référence :